Je passe le troisième rapport d'un geste rageur avant de mettre le pied au plancher. Je n'ai pas passé un nombre d'heures incalculable sur Red Devil pour qu'une Charger Hemi à peine modifiée me batte lors de mon premier run sur ma piste. Si ce mec n'est pas pilote, il en a en tout cas dans le froc et sait utiliser sa caisse. Je pensais avoir un run facile à courir mais j'avais oublié le potentiel de ces caisses. Je suis con quand même, j'en ai eu une il y a quelques temps et j'adorais courir avec. Décidément, ce 426 Hemi est probablement le meilleur moteur jamais produit par la Mopar et ce n'est pas pour rien qu'il a tout gagné en dragster. J'en suis à me demander si je n'ai pas causé un peu trop vite en me voyant fêter ma victoire.

En attendant, mon V8 préparé par les soins d'Harry me permet de remonter doucement sur la Dodge Charger 500 et Red Devil arrive à ses cotés alors que j'enquille le quatrième rapport en relâchant à peine l'accélérateur. Je prends le risque de perdre le contrôle de mon train arrière en faisant ça mais la TorqueFlite 727 est une boite automatique à trois rapports, ce qui lui permet d'éviter de perdre du temps lors du passage de rapport. Si je l'avais défié sur la piste, j'aurais gagné sans mal mais sur ce dragstrip... sa voiture est aussi adaptée que la mienne. Mon seul avantage est ma puissance supérieure et mes pneus larges mais avec cet asphalte froid et neuf, il faut que je me méfie et que je dose au maximum.

Ma Camaro continue sur sa lancée et fini par passer devant la Charger de Neil. Maintenant, il faut que je continue à me concentrer sur ma voiture et ses réactions pour que mon adversaire ne repasse devant moi. J'ai repris ma place et je ne compte pas la laisser à nouveau, j'ai un rang et une réputation à tenir en tant que propriétaire des lieux et leader des 66ers de Woodbury Hills.

Citation :

Je joue encore 2 points

Comme les trois-quart de la tribune, Marie était à présent debout pour mieux suivre la course. Elle avait suivi les conversations qui allaient bon train autour d'elle et comprit que la Camaro partait favorite. Elle appartenait au propriétaire de la piste, qui la pilotait. L'autre était un inconnu. Mais dès qu'elle l'avait vu, Marie avait eu un faible pour la Dodge Charger, moins clinquante que la Chevrolet mais tout aussi racée. L'excellent départ de la Charger lui avait permis de prendre l'avantage, à la surprise du public. Marie, quant à elle, n'avait pas d’à priori, elle ne connaissait aucun des deux pilotes.
Malgré son habitude des courses, elle était rarement à cette place, en spectateur pur. Son esprit s'égara un instant dans ses souvenirs, l'odeur de la gomme brulée sur le tarmac était sa madeleine de Proust. D'habitude elle était dans le stand à suivre la liaison entre le pilote et le manager, à écouter le bruit du moteur pour déceler les anomalies, à roder en se rongeant les ongles. Parfois, lors des rodages ou des tests de réglages, elle se mettait dans la tribune, en bas, près du couloir externe. Il lui arrivait de tenir elle-même le chrono. Mais tout ça appartenait au passé.
Clignant des yeux, elle revint à la course. La Chevrolet rouge reprenait du terrain mais la Dodge tenait bien la route, et faisait montre d'une puissance bien maitrisée.
Dire que la course était serrée était un putain d'euphémisme.
Et soudain, la Camaro tenta le dépassement dans une irrésistible montée en puissance. Toute le monde retint son souffle a cet instant, le moindre écart, la moindre perte de contrôle et les voitures pouvaient valser dans le décor. La Chevrolet passa en tête et au risque de ne pas se faire des amis près d'elle, Marie lâcha un juron.

Du coin de l’œil, je vois le capot gris de la Dodge Charger 500 de Neil et il ne semble pas décidé à lâcher prise. Ma victoire n'en sera que plus belle après la ligne d'arrivée. Pour l'instant, je m'en tiens à catapulter Red Devil à la limite de la perte d'adhérence vers cette foutue ligne tout en remarquant que Neil tient le coup. Ma Camaro arrive à contenir sans trop de mal la puissance du Hemi 426 de la Dodge mais je continue toujours à me méfier. Nos deux monstres métalliques se rue sur la ligne et c'est à celui qui ne lâchera rien que reviendra la victoire. Mon moteur gronde à l'unisson avec celui de Neil et plus rien n'existe à cet instant pour moi que cette ligne droite d'asphalte où je fais mon premier run en public. Il faut que je gagne si je ne veux pas passer pour un looser.

Je passe la ligne en tête avec le pied au plancher et l'aiguille du compte-tours qui frise la zone rouge avant de relâcher les gaz et de laisser ralentir Red Devil en douceur jusqu'à la fin du dragstrip. J'ai gagné mon premier run ici contre une voiture dont le terrain de prédilection est précisément les courses d'accélération pure avec un mec qui n'est pas un 66er au volant, je ne pouvais pas rêver mieux pour mon premier run, à part peut être exploser un Rising Sun mais j'ai quand même prit plaisir à cette course et c'est tout ce que je demande pour l'instant.

Au bout de la ligne droite, je tourne à gauche et prends le circuit pour revenir près de mes gars. Lorsque j'arrive près du parking, plusieurs pilotes me félicitent mais pas les Rising Suns en passant devant eux. Je suis à peu près sur qu'ils ont encouragé Neil malgré le fait qu'il roule avec une Dodge et pas une japonaise. Bande de cons, je vous atomise les uns après les autres sur le dragstrip si vous avez les couilles de vous aligner. Je passe devant les Rising Suns et vais me garer à ma place avec mes gars. Dès que j'ai posé le pied par terre, Tommy vient me voir pour me parler de la course.

Tommy - Joli run mais tu m'a fais peur au démarrage.
- Neil est pas mauvais et sa caisse est faite pour les courses de dragster.
Tommy - N'empêche que j'ai vu plusieurs pilotes jubiler quand Neil est parti plus fort que toi.
- Ca m'étonne pas, mais ici en dragster y'a une course et à la fin c'est moi qui gagne.
Tommy - Fait gaffe que ça ne te revienne pas en pleine gueule.
- T'as déjà vu un pilote me battre sur un 400m ?
Tommy - Pas encore, mais ça finira par arriver.
- J'lui payerais une bouteille à celui qui y arrivera.

Je me souviens des runs contre de grand pilotes comme Kira Santos ou Jack Walston, ils me posaient de gros problèmes en courses mais je les ai toujours battus en dragster et ce n'est pas demain la veille que je laisserais la victoire m'échapper dans ce genre de runs. Pour profiter de ma victoire, je pose mon cul sur le capot de Red Devil et m'allume une clope alors qu'Enola revient à pied vers nous et que deux voitures s'aligne sur le dragstrip pour un run. C'est sans surprise que je vois Ryan et Sonny s'apprêter à en découdre. Ces deux-là ne ratent pas une occasion d'ajouter une bataille à la guerre entre Ford et Chevrolet, et même si mon coeur balance pour la Camaro je suis content de les voir courir tous les deux.

Marie avait apprécié la fin de course et l'ambiance survoltée qui résultait de ce finish serré. Le conducteur de la Camaro rouge maîtrisait parfaitement son véhicule. Malgré le fait qu'elle soit moins adaptée à ce genre de circuit que la charger, il avait parfaitement su gérer ce handicap pour gagner la course. A l'inverse, on sentait que l'expérience avait fait légèrement défaut au conducteur de la Dodge, ce qui n'enlevait pas ses mérites au contraire, d'avoir su faire trembler le pilote confirmé qu'était le propriétaire des lieux.
Marie évalua la situation.
Malgré le conseil du viking Jorgen, elle ne se voyait pas aborder les pilotes pour proposer ses services. Elle avait une certaine timidité qui l'empêchait de s'imposer et ils étaient ici tous en bandes et avaient leurs mécanos attitrés. Elle risquait de ne pas être bien accueillie dans ces clubs fermés qui étaient ici pour se défouler sur la piste. A quoi bon risquer leur inimité et se fermer des portes ? Elle tenterait plutôt sa chance en déposant quelques CV dans les garages de Woodbury.
C'est pourquoi elle se dirigea vers la sortie, dépassant un groupe d'asiatiques qui lui lancèrent un regard peu amène tout en continuant à discuter la course; et elle comprit qu'il dénigrait le vainqueur. Elle passa son chemin sans chercher de noises.
Elle était venue en stop et espérait bien repartir de même. Elle coupa par les pelouses, sauta une barrière de bois, rejoignit la grand route rapidement et commença à avancer sur le coté pouce levé dans ce signe universel des auto-stoppeurs. Il n'y avait pas grand monde dans ce sens de la route car les courses étaient loin d'être terminées sur le circuit et Marie n'était pas sure de trouver une bonne âme pour la ramener. Elle se demanda qu'elle était la distance à pied, mais elle ne put l'évaluer. Elle soupira. Elle serait quitte pour une longue balade à pied.

Je tente, tant bien que mal, de quitter l'endroit avec ma Dodge Charger sans pour autant écraser l'un des spectateurs qui semblent plus intéressés par la course qui va bientôt avoir lieu que par leur sécurité. Je suis même obligé à un moment de sauter sur les freins pour éviter qu'un homme assez costaud de passe sous mes roues. Il va jusqu'à me dire de faire gaffe. Je croyais que c'était plus au piéton de faire attention avant de traverser la route mais si ce bout d'asphalte qui mène au portail du circuit n'est pas une route au sens strict du terme. N'ayant qu'une envie, quitter ce lieu, je lui adresse un petit geste en guise d'excuse mais n'en pense pas moins. J'attends qu'il dépasse mon capot et me libère le passage puis relache le frein pour laisser glisser ma Charger 500 en douceur jusqu'au portail. Le grand barbu des 66ers me fait signe de m'arrêter et attend que je le fasse. J'hésite un instant à stopper puis décide de m'arrêter à sa hauteur. Après tout, il a été correct avec moi et les 66ers semblent assez importants pour que j'ai intérêt à l'être aussi.

Harry - Tu t'en vas déjà mon pote ?
- Oui. Je suis pas un pilote. J'étais juste venu pour voir de belles bagnoles, pas pour me lancer sur la piste et je sens que si je reste dans le coin je vais me faire embarquer une nouvelle fois. Je tiens trop à cette voiture pour prendre le risque.
Harry - J'comprends, c'est une sacrée caisse. Passe à Coddy's Street Machines à l'occasion, on a tout ce qu'il faut pour en prendre soin.
- Je note. Bonne soirée !
Harry - Bonne route.

Je lui tend la main et échange une bonne poignée de main avec lui. Il dégage quelque chose de primaire et doit certainement être capable de tout mais je sens qu'il est réglo et connait ses ennemis dont je ne fais certainement pas partie. J'ai beau ne pas connaitre les 66ers, j'ai remarqué les regards échangés avec les pilotes en voiture japonaise et j'ai aussi noté le fait qu'ils roulent tous en voiture américaine, pas étonnant avec le logo de la route 66 sur leurs cuirs. Il va falloir que je me renseigne un peu sur eux, ils m'intriguent.

Un dernier signe de tête et je redémarre en direction de la ville. Je me cale dans mon siège et pose mon coude à la portière pour profiter de la fraicheur de la nuit après avoir mis une bonne vieille copie d'un de mes albums préférés, Back in Black. Le premier album d'AC/DC avec Brian Johnson au chant. Je n'ai pas fait plus de quelques centaines de mètres que je remarque une brune qui fait du stop. J'ai pitié d'elle et ralentit tout en baissant le son de ma musique. Après m'être arrêté, je me penche pour ouvrir la fenêtre et lui parler.

- Vous voulez que je vous ramène en ville ? Sinon vous risquez de marcher longtemps.

Marie marchait en regardant devant elle, sans se faire trop d'illusion. A tel point qu'elle n'en crut pas sa chance de voir une voiture s'arrêter à sa hauteur et quelle voiture !
La Dodge Charger !
La Dodge Charger qui avait failli gagner contre le propriétaire de la piste que l'on inaugurait. Elle resta un instant bouché bée, jetant un long regard, non pas au conducteur mais à la machine aux merveilleuses lignes. Et en plus, AC DC s'en donnait à cœur joie dans son habitacle. Marie crut avoir touché au Paradis. Oui en fait c'était ça, elle avait du se faire ratatiner par une bagnole et elle était morte sur le bas coté de la route, une voiture des Angels venant la chercher pour la mener droit au Paradis. Quoique...auraient-ils vraiment joué Highway to Hell ? Ils avaient un curieux sens de l'humour les Anges... Faut te faire une raison, Marie, c'est droit en Enfer que tu vas. Ha ha ! Remarquez que si l'Enfer est une longue en Charger 500, Marie voulait bien y aller tout de suite !
Puis reprenant pied avec la réalité et se rendant compte qu'on attendait d'elle une réaction, elle se précipita vers la portière et répondit par la fenêtre ouverte.

Oh oui, merci !

Elle se fendit involontairement d'un grand sourire quand elle toucha la voiture pour ouvrir la portière, sentant les vibrations du moteur sous sa paume. Elle inspira une grande bouffée d'air saturé de gaz d'échappement et plongea sur le siège passager avant de refermer la porte. C'est à ce moment qu'elle réalisa à quel point la proximité des voitures de courses lui manquaient depuis qu'elle avait quitté les circuits. Jusqu'à présent elle avait été assez occupée pour mettre cette nostalgie lancinante de coté mais à côtoyer les monstres des pistes de si près, dans toucher une, de la sentir prête à rugir, à avaler l'asphalte d'une poussée de son puissant moteur, elle avait le cœur en émoi. Elle mit sa ceinture et sa main droite se posa légèrement sur l'intérieur de la portière comme pour flatter la Dodge. Elle avait un bruit parfait.
Marie tourna la tête vers l'homme au volant et le remercia une nouvelle fois avec un certain enthousiaste.

Merci, c'est vraiment sympa.
Je me voyais rentrer à pieds et me voilà dans une des muscles qui a brulé sa gomme sur la piste ce soir.
Belle course, très belle course d'ailleurs.
Elle en a dans le ventre.

Marie se tut brusquement en se mordant la langue pour enrayer le flot de paroles qui se bousculait tout seul pour sortir de sa bouche. Elle venait de se dire que la course qu'il venait de perdre n'était peut-être pas le sujet le plus judicieux comme conversation. Les pilotes étaient parfois (souvent ?) susceptible, irascible voire les deux à la fois. Et si celui ci était du genre de Cole, il allait la faire descendre illico. Légèrement déconfite, elle observa Neil.

A sa façon de répondre à mon invitation, je remarque sans mal qu'elle est aussi passionnée de voitures que la plupart des personnes qui sont présentes ce soir, ce qui n'est pas forcément mon cas. J'aime cette voiture, non pas pour sa ligne, son bruit ou ses performances, mais parce que c'était le bébé de mon père et qu'il l'a restaurée lui-même. Il l'a fait seul car je n'étais pas là pour l'aider. A l'origine, nous devions nous en occuper tous les deux mais mon engagement dans l'armée m'a tenu loin de Woodbury Hills pendant trop longtemps et trop souvent pour que je puisse l'aider plus que je ne l'ai fait au début quand je revenais lors d'une permission. Cette Dodge Charger 500 pourrait être n'importe quelle voiture que ça ne changerait rien pour moi. C'est plus ce qu'elle représente à mes yeux qui est important, pas vraiment sa côte sur le marché des voitures de collection.

Je laisse la jeune femme monter à bord tout en regardant dans mon rétro pour m'assurer qu'aucune voiture ne déboule à tombeau ouvert sur la route. Je ne me suis pas spécialement serré en m'arrêtant et je ne tiens pas à ce qu'un abruti vienne s'encastrer dans ma voiture. Alors qu'elle commence à me complimenter sur ma course, un gros coup de chance que je confesse sans rougir, je remets ma boite sur la position drive et démarre sur un filet de gaz. J'ai assez tiré sur la mécanique pour ce soir, ma Charger a mérité un peu de repos. Elle a beau être restaurée, je n'oublie pas que cette vénérable voiture a quand même 44 ans. Elle est bien plus vieille que moi mais j'apprécie quand même la conduire bien qu'elle me coute cher en essence et en pneus dès que j'enfonce un peu trop le champignon.

- J'ai eu de la chance, c'était ma première course. Je suis loin de pouvoir prétendre être un pilote et cette voiture a été restaurée par mon père. Je suis bien incapable d'en faire autant.

Inutile de se voiler la face, je n'ai jamais été un as en mécanique et je ne le serais probablement jamais. Mon rayon se situe plus dans les opérations clandestines en territoire ennemi. Voilà un domaine où j’excelle mais dont je peux difficilement me vanter devant n'importe qui. Peu importe, de toute façon, depuis mon retour, je ne suis qu'un ancien soldat rendu à la vie civile avec les honneurs.

- Je vous dépose où ?

Bon, les courses ont l'air de vouloir se calmer sur la piste. Neil est parti dès sa défaite et trois courses ont eu lieu depuis mais personne ne semble avoir envie de s'aligner. Il va falloir que je m'y colle pour animer la soirée. J'ai bien envie de voir deux Camaros en découdre sur l'asphalte alors je jette ma clope par terre avant d'aller voir Ryan. Bien évidemment, il ne refuse pas mon offre et accepte avec plaisir de mettre MotiV8r sur la piste contre Red Devil. Une Camaro de 68 contre ma Camaro de 69, deux Pro Touring affutés capable d'encaisser sans broncher un passage en courbe à plus d'1G. Ca promet du spectacle. Je lui tape sur l'épaule et lui glisse une dernière phrase avant d'aller m'installer dans le baquet de Red Devil.

- Comptes pas sur moi pour te faciliter la tâche sur les trois tours.
Ryan - Parce que tu crois que je fais de faire des cadeaux ? Rien à foutre que tu sois mon leader !
- On est d'accord.

Installé au volant de ma Camaro, je boucle mon harnais et démarre mon V8 compressé pour aller rejoindre la ligne de départ. Je remarque des spectateurs qui reprennent de la hauteur dans la tribune pour bien voir la course. Ils savent de quoi Ryan et moi sommes capables et le spectacle promet d'être intéressant. Arrivé sur la ligne, je stoppe et Ryan s'aligne à coté de moi alors qu'une petite brune vient se placer devant nous pour donner le départ.

J'enfile mes gants et fait signe à la minette que je suis prêt. Ryan aussi est paré au lancement et il ne reste plus qu'à se lancer sur la piste. J'enfonce un peu le champignon et relève légèrement l'embrayage, paré à catapulter mon monstre mécanique vers la première courbe. Elle lève les bras, ça va donner... Le départ est donné et nos deux Camaros se lancent à l'assaut de la piste. Les 32ch de plus de MotiV8r ne suffisent pas à le voir prendre la tête et le premier virage se profile alors que nous roulons de front. Il prend l'intérieur et sort avec une demie longueur d'avance sur moi.

La longue courbe à droite est à mon avantage et j'arrive à repasser devant en mordant sur le vibreur. Mon ABS me permet de freiner un peu plus tard que lui et j'arrive à garder la tête bien qu'il soit toujours fermement calé dans mon aspiration. Sur les trois tours, il me passe quatre fois mais j'arrive à reprendre la tête à chaque fois en roulant vraiment à la limite de ma mécanique. Mes pneus souffrent à chaque virage et j'ai dépassé ma marge de sécurité depuis un bail. Nos deux Camaros sont très proches en terme de développement et de performances. Je n'ai un léger avantage que grâce à l'abs recalibré par Enola ce qui n'est pas du luxe face à un pilote comme Ryan qui connait sa voiture sur le bout des doigts. Il connait aussi bien MotiV8r que je connais Mongoose ou Red Devil et il fait corps avec sa machine.

Lorsque je passe la ligne d'arrivée avec seulement un capot d'avance, je relâche l'accélérateur et me rends compte que mon t-shirt me colle au dos. Ryan m'a vraiment poussé dans mes retranchements et je n'ai pas eu une seconde de répit à piloter contre lui. Je suis content d'avoir des pilotes de ce calibre parmi mes gars plutôt que de les voir courir avec d'autres couleurs. Alors que je ralenti doucement, il vient se porter à ma hauteur et me félicite du geste pour ma victoire. Je lui adresse moi aussi un geste de félicitations et retourne me garer avec nos gars.

Tommy - Vous avez vraiment envoyé du lourd.
- Ryan ne m'a pas laissé le choix.
Tommy - Il est vraiment pas mauvais ce con.
- Il est aussi bon que Sonny, toi ou moi.
Tommy - C'est bon pour la section d'avoir quatre bons pilotes mais il faudrait recruter un peu.
- Laisse Enola gagner son cuir, on en reparlera ensuite.
Tommy - T'as raison.

Tout en continuant à discuter avec mon second, je m'assoie contre l'aile de Red Devil et m'allume une clope pour évacuer tranquillement l'adrénaline qui me parcourt encore le système sanguin. Cet sacrée course a donné envie à plusieurs mecs de s'y mettre puisqu'en me tournant un peu, je vois quatre voitures se préparer pour une course. Deux d'entre eux sont des Rising Suns. Je regrette presque de les avoir invités ceux-là mais l'invitation était valable pour tout le monde ce soir.

Marie est surprise, sa première course, il n'avait pourtant pas l'air d'un débutant et sa voiture est taillée pour les compétitions. Bien sur elle pourrait recevoir des améliorations pour performer encore plus, les pneus pour commencer simplement.

Votre première course ?
Et bien félicitations, vous vous en être vraiment bien tiré.
Ce serait dommage de laisser une telle caisse loin du tarmac.
Ces voitures sont faites pour rouler, faites lui plaisir, emmenez la de temps en temps au circuit se décrasser un peu.

Marie sourit, Neil ne le sait pas mais son sourire s'adresse à la voiture bien plus qu'à lui.

Déposez moi en ville où ça vous arrange, peu importe, je finirais en bus.

Le paysage défilait avec la régularité du ronronnement du moteur, un grondement sourd qui ne demandait qu'à rugir encore. Alors Marie revient naturellement au sujet qui la passionne, rentrer au studio (elle a encore du mal à dire chez elle) n'est que secondaire.

Votre père est mécano ?

Il y a peut-être une lueur d'espoir si elle était tombé sur le fils d'un garagiste ou d'un mécanicien. Elle aurait peut-être ainsi une adresse où se présenter sans tomber comme un cheveu dans la soupe. Décidément, elle n'était pas persuadée que Jorgen avait bien fait de lui conseiller d'aller Flat Rock pour le taf. Mais elle y aurait déjà vu une belle course et en plus fait un tour en Charger, ce n'était pas rien. Rien que pour ça le viking méritait des remerciements.

J'écoute la jeune femme me féliciter sur ma course et réfléchit à ses paroles suivantes. Je ne pense pas que papa ait reconstruit cette voiture pour qu'elle finisse à l'arrêt dans un garage. M'amuser parfois avec ma Dodge Charger est probablement une bonne idée, après tout elles étaient faites à la base pour battre les Ford et les Chevrolet sur les pistes de dragster aux quatre coins du pays. De plus, j'avoue que je me suis amusé pendant cette course et même si je crains d'abimer ma voiture, je ne serais pas contre l'idée de recommencer ce genre de réjouissances. Ca ne vaut pas le défoulement procuré par quelques chargeurs vidés dans un stand de tir mais c'est quand même bien agréable.

Elle me propose ensuite de la déposer où je le souhaite qu'elle finisse en bus et je ne reprends la parole que lorsqu'elle me demande si mon père est mécano. Mon père n'avait rien d'un mécano professionnel et ne touchait à la mécanique que pour réduire les factures ou pour se faire plaisir sur la Dodge Charger 500 que je conduit maintenant. Je ne suis pas sur que la réponse que je vais lui donner lui convienne mais je n'ai aucune raison de lui mentir.

- Papa n'était pas mécano. Du moins ce n'était pas son métier.

Je ralentis en arrivant sur North Whitehall Road et regarde des deux cotés avant de m'engager en douceur en direction de Woodbury Hills. Dès que j'ai redémarré, je reprend le fil de la conversation et entreprend de faire les présentations.

- J'habite dans le quartier de Brookfield, je peux vous poser là-bas. Au fait, je m'appelle Neil.

Comme ça, elle connait mon prénom et ça sera plus simple si d'aventure on se recroise un jour même si je doute que ça arrive, la ville est bien assez grande pour que nos chemins aient du mal à se recroiser à nouveau. Par exemple, je n'ai toujours pas vu mon frère depuis mon retour alors que je suis là depuis plusieurs semaines et qu'il habite, en théorie, dans le même immeuble que moi. L'exemple n'est pas forcément le meilleur puisqu'il doit certainement m'éviter soigneusement. Tout était plus simple avec l'uniforme sur le dos, j'avais des ordres et un seul but, remplir ma mission tout en essayant de rentrer en vie à la base.

Marie note l'imparfait, le père de son conducteur n'est donc plus mais il n'y a pas de douleur intense dans la voix de Neil. Ce n'est donc pas très récent.

Il a bien bossé en tout cas.

Son chevalier motorisé se présenta et lui proposa de la laisser à Brookfield tandis qu'ils pénétraient aux abords de la ville. Cette ville qui deviendrait la sienne si elle le désirait. Mais le voulait-elle réellement, elle n'arrêtait pas de se poser la question depuis son arrivée. En même temps Marie n'avait pas l'impression d'avoir le choix, il y avait tellement de secrets ici, tellement de fantômes qu'elle se sentait précipitée dans une course dont les enjeux lui échappaient. Si la ville était spéciale, voire peu recommandable, Marie ne trouvait pas qu'elle était pire que Détroit où elle avait grandi. Et depuis qu'elle était ici, à peine une semaine, elle avait déjà rencontré des gens serviables, surement très sympathiques si on prenait la peine de les connaitre.
Marie  se présenta à son tour

Marie
Brookfield c'est parfait merci, c'est là où je loge.
Du coté du Viking Motel, près du Pueblo Supermarket, vous connaissez ?

Il lui avait évité une sacrée marche, Marie et ses pieds lui en étaient reconnaissants ! Elle ne s'était pas rendue compte que la piste était si loin de la ville.

C'est avec le sourire que je la remercie du compliment sur le travail de mon père à propos de ma Dodge. C'est vrai qu'il a fait du bon travail même s'il lui a fallut plusieurs années pour la restaurer et en faire ce qu'elle est maintenant. Pour moi, ce n'est pas une simple voiture, papa en était dingue et je suis comme maman, cette Dodge représente le souvenir de papa et il faut qu'elle reste dans la famille. Pour rien au monde, papa n'aurait pu s'en séparer et maintenant que c'est moi qui l'utilise, je comprends parfaitement. Elle a le style, l'âme et les performances tout droit sortis d'une époque révolue où les voitures américaines représentaient plus qu'un vulgaire moyen de locomotion d'un point A à un point B.

Elle m'explique ensuite où elle loge et il me faut quelques secondes pour situer le Viking Motel dans mes souvenirs. Je me demande si c'est toujours ce vieux suédois ou danois qui tient le motel. Si c'est le cas, il fait figure de résistant dans le quartier car presque tous les commerces ont changés de patron avec la dégradation du quartier. En tout cas, ça ne me pose pas de problème de la déposer là-bas, c'est à quelques pâtés de maison de mon appartement et le détour ne sera pas énorme. De toute façon, personne ne m'attend à la maison et je peux rentrer quand je veux. Je doute que maman s'inquiète de me savoir dehors tard le soir, elle doit certainement déjà s'inquiéter suffisamment à propos de Connor pour ne pas se faire de bile pour moi.

- Je vois où c'est, je n'habite pas loin, je peux vous déposer là-bas.

Avoir une passagère rend le trajet plus agréable même si nous sommes des étrangers l'un pour l'autre. Le circuit est quand même sacrément loin de la ville et le voyage est suffisamment long pour certainement paraitre chiant quand il y a de la circulation. Heureusement, à cette heure nous avons la route juste pour nous, ce qui ne m'empêche pas de rouler tranquillement en respectant les limitations de vitesse. Je ne roule pas sur l'or en ce moment et la Charger me coute suffisamment cher en essence pour que je n'ai pas envie de payer en plus des amendes.

- Vous logez à l'hôtel, vous êtes en ville depuis longtemps ?

Quitte à l'avoir comme passagère, autant essayer de faire la conversation pour faire passer le temps.

Marie hésita une seconde à le contredire.
En effet, elle ne logeait plus au Motel depuis le matin même où elle avait rendu sa clef à Jorgen. Ce soir elle dormirait chez elle même si ça lui semblait étrange.
Elle revit mentalement le studio qu'elle avait juste commencé à ranger, il gardait l'empreinte de ce frère dont elle n'avait pas de souvenirs. Avant que le silence ne se prolonge elle répondit à son bon samaritain en restant relativement évasive par simplicité.

Depuis une semaine environ.
Je loge dans le quartier mais plus à l’hôtel, je commence tout juste à découvrir la ville et ses environs.

Elle eut un sourire en coin, un peu railleur envers elle.

C'est pour ça que j'ai cru que le circuit n'était si loin.

Et puisque c'était un habitant de Brookfield lui aussi, ça tombait bien. Étant assez réservée de nature et n'aimant pas s'imposer plus que nécessaire, elle n'aurait pas aimé qu'il fasse un détour pour elle.
Marie commença à reconnaitre le coin qu'ils traversaient, les abords de Brookfield. Le soir était tombé et les rues étaient étrangement calmes au point que cela fit froncer les sourcils de Marie. D'habitude il y avait toujours de l'animation, des bandes qui trainaient en s'échangeant des pétards, des vendeurs de crack au coin des rues, mais ce soir même les putes avaient désertées les trottoirs. Marie avait soudainement les sens en éveil. Elle jeta un coup d'oeil à Neil pour voir s'il partageait son malaise.

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